mardi 18 juin 2013

Tokyo Lucky Hole - Araki ( Taschen )



Tokyo Lucky Hole est un livre qui laisse difficilement indifférent, non pas par la crudité de ses images, mais aussi par sa capacité à éveiller et à électriser le fantasque qui sommeille en nous. Pour tout vous dire, il m'est impossible de résister à le feuilleter avec passion quand un exemplaire parvient entre mes mains. Il faut reconnaître que si les librairies de nos contrées ne manquent pas de monographies à propos de Nobuyoshi Araki, ses ouvrages personnels s'y font nettement plus rares, un comble quand on sait l'importance du livre dans l'oeuvre du photographe. Répondant à cet insupportable vide, Taschen a eu l'heureuse idée d'éditer l'une de ses séries les plus fameuses, l'excentrique Tokyo Lucky Hole. Considérablement élargi par rapport à l'édition originale japonaise, le livre a désormais l'apparence d'une petite brique, dense de 704 pages qui ne demandent qu'à défiler entre vos doigts impatients. N'hésitez pas à forcer un peu la reliure pour mieux profiter des photographies, on ne saurait s'en vouloir vu le prix modique de ce volume.

Il y a mille façons de parcourir Tokyo Lucky Hole. Consciencieusement page après page, frénétiquement en laissant Araki nous égarer dans un tourbillon visuel et narratif ou simplement en amateur curieux, piquant ici et là des anecdotes graveleuses. Tokyo Lucky Hole est à l'origine un  reportage intra-muros des établissements de plaisir tokyoites du début des années 80' quand se déroule une parenthèse libertine inédite qui voit défiler strip-teaseuses à gogo, débauches collectives et autres bizarreries sexuelles. Tokyo semble peu à peu aspiré dans une frénésie licencieuse avant qu'une série de lois adoptées en 1985 finissent par contraindre les ardeurs des citadins. Outre cette dimension historique, le reportage tire son épingle du jeu dans la faculté d'Araki à superposer les genres photographiques tout en tournant à l'absurde les codes de chacun. L'objectivité supposée du reportage tombe le masque quand Araki prend part à l'événement en devenant à son tour l'un des acteurs photographiés, pour mieux le partager mais aussi pour mieux en jouir. Comme souvent avec Araki Nobuyoshi, la photographie est également autobiographique, le photographe ne cachant pas dans ses interviews préférer la compagnie d'une prostituée à celle d'une grande oeuvre de la littérature pour mieux connaître l'être humain. Mais gardons-nous bien de croire qu'Araki scelle avec le lecteur une promesse de sincérité, la fiction est, on le devine, toujours là en embuscade. Viennent enfin les photographies des Lucky Holes proprement dits, ces plaques décorées chichement d'un dessin et d'une photographie d'une actrice célèbre, et percées d'un trou dans lequel le client est invité à insérer son organe afin qu'une prostituée, dont il ne sait rien, s'en occupe. Elles sont sans doute, au-delà de leur aspect misérable, les plus philosophiques. C'est le tour de force final de Tokyo Lucky Hole, subtilement la subversion des thèmes exposés dévoile la subversion intrinsèque à l'image photographique. Apprécier une photographie n'est-ce pas en fin de compte, à l'égal d'un Lucky Hole, jouir sur un simulacre ? 

Nobuyoshi Araki et son comparse Akira Suei, éditeur d'une revue de photographie qui publiera entre autre les travaux d'Araki.




Les Lucky Holes

Tokyo Lucky Hole de Nobuyoshi Araki
Edité par Taschen, précédés de deux préfaces par Akihito Yasumi et Akira Suei
Edité en Europe en 1997, l'édition présentée est une réédition ( 2012 )
19,5cm x 14cm
704 pages
+- 800 photographies
Trilingue Français/English/Deutsch

vendredi 7 juin 2013

Mrs. Newton - June Newton aka Alice Springs ( Taschen )


Helmut et June le jour de leur mariage.
Mrs. Newton se présente comme un journal tenu par June Brown, l'épouse d'Helmut Newton, agrémenté de nombreuses photographies de l'intimité du couple. Couvrant une période allant de l'enfance de June Browne jusqu'à la mort d'Helmut Newton, le livre se veut résolument biographique et ne comporte aucune photographie célèbre prise par Helmut Newton, préférant mettre l'accent sur leurs photographies  intimes, destinées à leur album personnel. Disons le tout de suite, les événements du quotidien narrés par June Newton ne sont pas toujours d'un grand intérêt et l'ouvrage ne possède pas de visée artistique comme a pu le faire Nobuyoshi Araki avec son propre couple. Le livre n'est ni plus ni moins que l'occasion de découvrir un couple de photographes reconnus et  son entourage pendant plus d'un demi-siècle de vie commune. A feuilleter avec curiosité et sans grande prétention si le hasard vous offre l'opportunité de le croiser dans une bouquinerie.






On retrouve également des portraits professionnels réalisés par June Newton sous son pseudonyme Alice Springs, dont le grain rappelle celles d'Helmut Newton. Mais là où le photographe composait des mises en scène aux poses théâtrales et ostentatoires, Alice Springs se veut plus retenue et classique. 







Les "coulisses" des séances photos d'Helmut Newton.

Les Newton et leurs amis, notamment les Sieff et Brassaï.





Mrs. Newton
Par June Newton aka Alice Springs
Edité par Taschen en 2004
253 pages
30cm x 22cm
English

samedi 1 juin 2013

Araki ( Taschen )



En 2002 paraissait une monographie en édition limitée chez Taschen consacrée à l'oeuvre de Nobuyoshi Araki. Comme souvent chez cet éditeur, une version abrégée destinée au grand public fut éditée quelques années plus tard ( en 2007 plus précisément ), et c'est de celle-ci dont il est question dans cet article. Bien que réduit par rapport à l'édition limitée, l'ouvrage n'en demeure pas moins imposant avec ses 560 pages et nous est livré avec un coffret illustré. 

Les clichés fameux d'Araki y sont rassemblés en plusieurs chapitres thématiques, ces derniers introduits au préalable par une conversation entre Jérôme Sans, à l'époque co-directeur du Palais de Tokyo à Paris et Nobuyoshi Araki, instructive et nécessaire tant l'oeuvre du photographe peut dérouter au premier regard. Si les images s'enchaînent, percutent et fascinent, on peut néanmoins regretter que cette sélection thématique des photographies entraîne la disparition de la sensibilité narrative typique des ouvrages d'Araki où les photographies ont été initialement publiées. Le lecteur néophyte n'y verra probablement que du feu mais le connaisseur qui a déjà eu l'opportunité de feuilleter les ouvrages majeurs d'Araki constatera rapidement que certains chapitres manquent parfois de saveur malgré l'audace et l'importance en elle-même des photographies.

En définitive, c'est un livre qui donne avant tout à voir et suscitera l'enthousiasme chez le lecteur qui cherche avant tout à acquérir une rétrospective à feuilleter pour le plaisir des images. Le lecteur qui cherche à se documenter de manière plus approfondie sur l'oeuvre d'Araki optera pour l'essai de Philippe Forest ou bien pour le gros volume paru chez Phaidon, aujourd'hui la monographie de référence.








Araki
Taschen 25
2007
Relié avec coffret illustré
560 pages
+1000 photographies
30,5 cmx 21 cm
Français / English / Deutsch / Japanese

mercredi 15 mai 2013

Helmut Newton - Polaroïds ( Taschen )




Voilà bientôt une décennie que l'un des enfants terribles de la photographie de mode s'est éteint, et son actualité est pourtant toujours aussi bouillonnante entre expositions, nouvelles parutions et rééditions de ses classiques. Il faut battre le fer tant qu'il est chaud, et les photographies d'Helmut Newton sont de ces oeuvres dont l'ardeur résiste remarquablement à l'usure du temps, même si une certaine monotonie semble s'être installée dans la publication des livres d'Helmut Newton. En consultant l'ouvrage, il faut en effet se rendre à l'évidence que les Polaroïds présentés sont généralement semblables aux photographies déjà célèbres capturées sur la pellicule, avec quelque variation au niveau des couleurs, des gestes des modèles, ou parfois la présence d'écritures sur le Polaroïd. 


Malgré la présence bienvenue de l'un ou l'autre inédits, on garde au final l'impression d'une compilation un peu fourre-tout de par l'absence de réel fil conducteur, si ce n'est celui que les photographies sont des Polaroïds. Restent les mises scène aguicheuses, drôles et toujours efficaces, conformes à ce qu'on attend d'un photographe de mode talentueux comme Helmut Newton. Mais ceux qui auraient espéré découvrir son travail sous un angle inédit sortiront probablement déçus de la consultation de l'ouvrage car cette perspective se révèle finalement peu audacieuse. Hésitant entre rétrospective et ouvrage à thème, on aurait sans doute apprécié davantage de Polaroïds plus confidentiels et moins attendus pour voir le livre démarquer des nombreuses publications à propos d'Helmut Newton.




Polaroïds - Helmut Newton
Edité par Taschen et June Newton
2011
28cm x 22cm
224 pages ( dont 2 x 2 pages dépliantes )
+- 330 photographies
Français / English / Deutsch


jeudi 7 mars 2013

Rineke Dijkstra - A Retrospective ( Guggenheim / SFMoMA)


Extraits de la vidéo "The Krazyhouse" (2009)
L'année 2012 fut riche en occasions pour découvrir la photographie de Rineke Dijkstra, avec notamment les expositions au Guggenheim de New-York et au MoMA de San Francisco, et pour accompagner celles-ci, la publication de l'ouvrage Rineke Dijkstra : A Retrospective. A ma connaissance le livre le plus volumineux consacré à la photographe, il se distingue par la qualité de son appareil critique qui le destine à devenir un ouvrage de référence. Celui-ci est en effet composé d'une  conversation entre Rineke Dijkstra et Jan van Adrichem et de deux essais, l'un ayant pour thème ses fameux portraits et l'autre ses vidéos. En plus de la bibliographie, le livre comporte également de courtes interventions de personnes ayant servi de sujet à la photographe tandis que chaque série est précédée d'une notice précisant le contexte des photographies. Le choix des photographies se veut une compilation de ses travaux essentiels, aussi retrouve-t-on les portraits d'adolescents, les Matadors, les mères, les jeunes militaires ou encore des captures de ses vidéos The Buzz Club et The Krazyhouse. Si le livre ne peut évidemment pas se substituer à la visualisation proprement dite de ces vidéos, il permet néanmoins de comprendre ce choix technique qui se révèle en parfaite filiation avec ses photographies et offre une perspective très intéressante pour comprendre ses thèmes. Pour davantage d'informations sur ces derniers, je vous invite à lire une précédente chronique que j'ai écrite à propos de Rineke Dijkstra.

Les photographies sont fidèlement reproduites et imprimées, il faut d'ailleurs noter à ce sujet que l'épaisseur et le grain du papier varient au fil des sections. Si les essais et les miniatures qui les parsèment sont imprimés sur un papier plus frustre, les photographies sont par contre imprimées sur un papier d'une qualité supérieure.

Au final, sans surprise, Rineke Dijkstra : A Retrospective est une monographie convaincante et bien exécutée. Un ouvrage évidemment idéal pour découvrir le travail de cette remarquable portraitiste. Celles et ceux qui possèdent déjà plusieurs ouvrages à son sujet peuvent également envisager l'acquisition de ce volume car s'il reprend essentiellement des travaux publiées antérieurement, il peut néanmoins intéresser grâce à la présence d'un séduisant appareil critique et de documents iconographiques inédits.



Rineke Dijkstra - A Retrospective
Guggenheim SFMoMA 2012
258 pages
30cm x 23cm
+- 80 photographies et plusieurs dizaines d'extraits de films et de documents iconographiques
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