mercredi 28 mars 2012

Guy Bourdin ( Phaidon 55s )



Phaidon consacre un volume de sa collection Phaidon 55s à Guy Bourdin. Présenté dans un format agréable à la consultation, celui-ci se donne pour objectif d'offrir un aperçu global de la carrière du photographe au travers de 56 photographies. Celles-ci couvrent une période allant de ses premières réalisations alors qu'il était en collaboration avec Man Ray ( on trouve notamment reproduite dans le livre une photographie du studio de Man Ray par Guy Bourdin, ainsi que d'autres clichés effectués avant ses débuts comme photographe publicitaire ) jusqu'aux plus tardives à la fin des années 80'. On retient également la bonne introduction par Alison M. Gingeras, qui tout en esquissant rapidement le parcours du photographe, va au-delà des simples références biographiques et offre quelques pistes d'analyse intéressantes pour comprendre l'esthétique de Guy Bourdin. A noter que Phaidon a réédité ce livre récemment, mais dans un format plus réduit que celui présenté dans cet article et uniquement en langue anglaise. 





Guy Bourdin
Par Alison M. Gingeras
Phaidon
56 photographies
25cmx21cm
Français

dimanche 25 mars 2012

Guy Bourdin In Between ( Steidl )



Le nom de Guy Bourdin ( 1928 - 1991 ) demeure encore aujourd'hui inséparable de ses photographies exécutées pour le compte de clients comme Francine Crescent ( à l'époque rédactrice en chef du magazine Vogue ) et la marque Charles Jourdan. Une postérité artistique qui ne déplairait sans doute pas à celui qui ne désirait se dévoiler qu'au travers des doubles-pages qui lui étaient dévolues dans les périodiques. Guy Bourdin était en effet réputé pour sa discrétion, pour ne pas dire son mutisme dans les médias, fuyant les propositions d'interview, de monographie ou d'exposition à propos de sa personne et de ses photographies ( il refusera même le Grand Prix National de la photographie décernée par le Ministère de la culture française ). Ce n'est que bien après son décès que paraîtront les premiers livres consacrés à son oeuvre.


Apportant sa pierre à l'édifice, l'éditeur Steidl propose ici un ouvrage audacieux : nous faire découvrir l'histoire de la photographie de Guy Bourdin en respectant la forme narrative que celui-ci chérissait : la double-page. In Between est en effet une compilation minutieuse des doubles-pages élaborées par Guy Bourdin pour ses clients. Il résulte de ce projet une sélection de plus de 300 photographies, choisies en raison de leur pertinence dans le parcours artistique de Guy Bourdin et témoignant au mieux des récurrences thématiques et des innovations propres à son oeuvre, mais aussi des artistes qui ont nourri son imagination ( son mentor Man Ray et autres artistes surréalistes, Edward Weston... ). Le livre s'ouvre ainsi sur la première photographie publiée par Vogue en 1955, qui annonce déjà le caractère provocateur et perfectionniste de Guy Bourdin avec cette femme chapeautée et photographiée en-dessous de trois têtes de boeufs décapités, et provoque d'ailleurs le mécontentement de lecteurs de la revue. Loin de décourager Guy Bourdin, ces polémiques confirment au contraire l'importance de ses choix esthétiques et marquent l'émergence d'une nouvelle photographie de mode qui ne se veut plus comme un naïf catalogue visuel des tendances vestimentaires, mais comme une photographie qui prend conscience de la fascination qu'exerce l'image sur son spectateur, aussi va-t-elle entamer une mutation qui la pousse à complexifier ses mises en scène, à jouer avec les stéréotypes visuels notamment sexuels et à introduire des éléments narratifs. L'imagination fertile et audacieuse de Bourdin semble ne pas avoir de limites, et ses clients, ayant saisi le caractère profondément original de la photographie de Guy Bourdin, auront soin de lui laisser une grande liberté de réalisation dans leurs commandes. 


Superbement réalisé avec des photographies dont il faut saluer la qualité de reproduction et d'impression, In Between offre la sensation grisante de contempler en un seul volume le talent de Guy Bourdin s'accomplir peu à peu au fil de ses photographies, sa patte esthétique si particulière se forger et trouver assurance, dévoilant à nos yeux de lecteur la vision du monde d'un artiste-photographe. Guy Bourdin est de ces photographe qui auront su mêler avec brio l'expressivité personnelle d'une photographie d'art avec les exigences de la photographie de mode, destinées à une publication de masse.

Souvent critiquée pour son caractère superficiel, la photographie de mode avec Guy Bourdin parvient à acquérir une réelle portée artistique tout en assumant sa superficialité fascinante. Il prouve qu'elle ne saurait se limiter à photographier quelques jeunes femmes dans de jolies tenues, et qu'elle peut être le lieu d'une expression innovante, personnelle et rigoureuse dans sa réalisation. Guy Bourdin se révèle être en effet un perfectionniste acharné doublé d'une prétention démiurgique rarement vue dans la photographie. Contrôlant et ajustant le moindre élément dans sa photographie, il en tire d'ailleurs une réputation de sadique par l'exigence qu'il réclamait à ses modèles, n'hésitant pas à les faire poser dans des mises en scène fantaisistes et brutales. Malgré la pellicule photosensible supposée reproduire le réel, la représentation du monde par Guy Bourdin est bien loin de se soucier d'un quelconque réalisme, chaque mise en scène, chaque accessoire, chaque modèle ( notamment sa muse Nicolle Meyer ) n'ayant que pour rôle de participer à l'élaboration d'une image volontairement artificielle et visant à provoquer cet instant de fascination dans l'esprit du spectateur. En plus de ses photographies considérées aujourd'hui comme des références majeures, c'est peut-être aussi dans ce perfectionnisme presque outrancier que réside le véritable génie de Guy Bourdin.



Guy Bourdin In Between
Edité par Shelly Verthime
Steidl
30cm x 25cm
272 pages
English

lundi 12 mars 2012

Diane Arbus ( La Martinière )


L'exposition consacrée à Diane Arbus au Jeu de Paume à Paris a été l'occasion pour La Martinière de faire paraître en édition française la célèbre monographie de la photographe. L'exposition et le livre ont chacun rencontré un vif succès, d'où une inévitable question : pourquoi Diane Arbus continue-t-elle d'exercer un magnétisme évident sur le grand public ?

Se désintéressant du monde de la mode qui accueillit ses premières expériences photographiques, Diane Arbus se met à parcourir les rues au petit bonheur de la chance, dans l'espoir de rencontrer des personnages insolites, ou mieux se faire inviter en des lieux étranges. C'est en effet dans les endroits considérés par ses contemporains comme incongrus ( soirées de travestis, loges de cabaret, chambres de prostituée, camp de nudistes... ) que saura s'exprimer au mieux le talent de Diane Arbus : capturer les instants qui échappent soudainement à la norme. Dans la photographie de Diane Arbus, il y a une prise de conscience que cette norme, qui met en forme et donne cohérence à notre société, n'est pas omnipotente, et qu'en certains instants, celle-ci se dérobe au profit d'un moment d'étrangeté ou anormal. Mais cette dérobade de par son statut même d'anormalité  court le risque de ne pas pouvoir prétendre à participer à l'image sociale, la norme dictant ce qui a le droit à l'image et ce qui n'y a pas droit. Aussi sa photographie assume-t-elle un rôle de contrepouvoir social en se donnant pour mission d'offrir une existence sociale par l'image à ces différents individus.


Diane Arbus n'est ni la première et ne sera assurément pas la dernière à s'intéresser aux milieux qui échappent aux conventions classiques, la société et les artistes ayant toujours fait preuve d'une vive curiosité pour cette thématique. L'intérêt nouveau réside probablement dans le soin dont a témoigné Diane Arbus pour éviter de retomber dans le travers de l'exposition malsaine des personnes étranges à l'instar des Freaks dans les foires, elle aura su au contraire développer une esthétique inédite où le hors-norme ne nous apparaît pas comme extérieur à notre société mais au contraire comme l'une des nombreuses manifestations possibles de l'humanité. C'est particulièrement le cas dans la série Untitled, où les multiples portraits de malades mentaux visent à nous faire prendre conscience de la part d'humanité que nous partageons avec ces personnes, que d'ordinaire on préfère fuir en les enfermant dans les asiles psychiatriques ( Ils font partie de notre humanité pourrait être le leitmotiv de Diane Arbus ). Le travail de Diane Arbus ne vise pas à exclure ou stigmatiser les personnes étranges mais au contraire à nous faire découvrir à quel point ils sont essentiels pour comprendre comment la société se façonne car en définitive ce sont ceux qui semblent échapper à la norme qui nous informent le mieux sur la puissance qu'exerce la norme sur notre monde. Toutefois, le travail de Diane Arbus ne se limite pas seulement à arpenter les milieux de la subculture. Au contact de personnes et de lieux d'apparence bien plus ordinaires, le talent de Diane Arbus demeure intact, car même dans les évènements du quotidien, elle parvient à capturer ces fugitifs moments d'étrangeté. C'est notamment le cas du portrait intitulé Femme avec médaillon dans le Washington Square Park ( 1965 ), où le regard de la femme se fait à ce point pénétrant, qu'on en vient à se demander si le médaillon désigné dans le titre de l'oeuvre concerne le bijou qu'elle porte à son cou ou bien ses yeux qui luisent tel un médaillon...


Si les photographies de Diane Arbus nous touchent encore aujourd'hui avec une telle émotion, c'est sans aucun doute grâce à sa volonté inébranlable de témoigner de la diversité humaine, des destins et moments façonnés par les aléas de la vie. Certains naissent riches, d'autres précarisés, certains naissent avec d'excellentes prédispositions physiques, d'autres avec un handicap mental ou physique, mais finalement ils participent tous d'un même mouvement, celui de l'humanité. 


Diane Arbus
La Martinière 2011
28cmx23,5cm
+- 85 photographies
171 pages
Français