mercredi 19 décembre 2012

Helmut Newton Frames from the edge DVD



La réalisation d'un documentaire à propos d'un photographe est souvent un exercice assez périlleux, nombre de ces films étant simplement ennuyeux car ils se résument à une vaine contemplation du photographe pratiquant son activité, Helmut Newton le signale d'ailleurs lui-même alors qu'il parcourt Los Angeles au volant d'une de ses voitures ( Helmut Newton adore les automobiles ). Ce film est-il dès lors parvenu à tirer son épingle du jeu ? S'il demeure assez plaisant à regarder, il ne transcende néanmoins pas le genre, et c'est sans doute là où le bât blesse. Les photographies d'Helmut Newton nous fascinent par leur audace, leur cadrage d'une redoutable efficacité et par la force dégagée par les modèles et les mises en scène. En nous invitant à découvrir l'envers du décor, on perd inévitablement la qualité intrinsèque de ses photographies et malheureusement l'esthétique du film ne parvient pas à combler ce manque. On est bien sûr tour à tour amusé et intéressé par les anecdotes à propos de la personnalité d'Helmut Newton, sa manière de travailler ou de sélectionner la modèle idéale, mais on ne retrouve pas autant de plaisir que lors de la consultation d'un de ses ouvrages. Pour Helmut Newton, cette remarque sonnera sans doute comme un compliment, mais on se dit que le réalisateur aurait davantage pu oser au niveau de la narration et sortir des schémas conventionnels. On pense notamment à By the ways, un documentaire sur William Eggleston, dont le charme résidait dans une subtile audace narrative et visuelle qui rappelait indéniablement l'univers du photographe.

De plus, l'image de Frames from the Edge a malheureusement mal vieilli d'un point de vue technique, et aurait sans aucun doute mérité d'être dépoussiérée pour sa sortie en DVD. En conclusion, c'est un DVD est à considérer pour les mordus d'Helmut Newton et de photographie de mode car il offre une nouvelle perspective sur son travail et s'avère un bon complément d'information en plus de ses ouvrages. Les autres envisageront plutôt l'acquisition d'un de ses livres, car c'est avant tout dans ces derniers que la photographie d'Helmut Newton prend tout son intérêt et donne le plus de plaisir.

Plusieurs entretiens avec des célébrités comme Karl Lagerfeld, Charlotte Rampling ou Catherine Deneuve parsèment le documentaire. Elles commentent notamment les photographies les concernant.

Helmut Newton consultant les books des modèles à un casting. 






jeudi 6 décembre 2012

Paolo Roversi ( Photo Poche 133 )



Soumis aux impératifs du goût d'une époque, le photographe de mode est partagé entre une photographie miroir de ses contemporains et une photographie métaphore de son génie personnel. C'est dans l'équilibre de cette tension que l'oeil averti peut repérer le grand photographe, celui qui parvient à nous faire découvrir des images fascinantes dont nous n'avions pas idée jusqu'alors. La renommée de Paolo Roversi n'est plus à démontrer tant sa photographie s'est imposée comme une des plus belles réponses à ce dilemme. Développant une image qui échappe aux canons d'aujourd'hui et qui pourtant est parvenue à se glisser dans les magazines les plus actuels, le photographe est une référence majeure de la photographie de mode contemporaine. L'esthétique de Paolo Roversi emprunte ses codes à l'univers du Polaroïd grand format, aussi bien sa forme et ses teintes colorées caractéristiques que son message essentiel. Si les couleurs se font évanescentes et minérales, la personne photographiée semble elle aussi revêtir la fragilité du Polaroïd et sa beauté éphémère, partagée entre la nécessité de se révéler pour fasciner le regard du spectateur et l'exigence de conserver une part de mystère pour faire naître une indéniable poésie.
On retrouve dans ce livre de nombreuses séries issues de précédents ouvrages aujourd'hui épuisés, notamment Libretto, Studio ou encore Nudi, dont est extraite l'image ci-dessus. Caractéristique du style délicat, presque fragile de Paolo Roversi, il est difficile de ne pas la comparer avec les Big Nudes d'Helmut Newton, où l'exposition frontale de la nudité de la femme va au contraire de pair avec la démonstration de sa force et son orgueil. 

Photo Poche offre ainsi l'occasion de découvrir ce grand photographe au travers d'un volume compact avec une belle sélection de photographies fidèlement reproduites. Si vous souhaitez acquérir une rétrospective bien pensée de ce photographe ou un beau livre en format de poche à propos de la photographie de la mode, ce volume vous séduira sûrement.




Paolo Roversi
Introduction par Gilles de Bure
Collection Photo Poche
64 photographies
19cmx12,5cm
Français

jeudi 15 novembre 2012

Pierre Molinier - Jean-Luc Mercié ( Les presses du réel )



Alors que ses contemporains retenaient de lui ses peintures, lui-même se comprenait d'ailleurs comme un peintre, l'histoire de l'art, par un de ces étranges retournements dont elle est capable, a fait en sorte qu'on retienne aujourd'hui de Pierre Molinier ses autoportraits photographiés où il se transforme en un personnage à mi-chemin entre la femme et l'homme. Une reconnaissance tardive pour le photographe mais légitime. Pierre Molinier est effectivement de ces artistes à pouvoir pleinement se targuer du titre de photographe tant le dessin à la lumière prend enfin tout son ampleur dans son oeuvre. Loin de se réduire au seul déclenchement de l'appareil, la photographie de Pierre Molinier trouve son véritable épanouissement dans son long et fastidieux développement après la prise. Refusant l'intervention d'un tireur professionnel, Pierre Molinier accumule les tirages au gré de ses expérimentations du support photographique : il tire et retire un même cliché, variant l'exposition et autres paramètres à chaque reproduction, retouche et découpe les parties intéressantes d'un tirage pour les réassembler dans un autre tirage. Il n'y a pas que la sexualité de Pierre Molinier qui se trouve être hybride, ses compositions photographiques le sont également. Pierre Molinier vit intensément sa photographie dans tout ce qu'elle implique. Il jouit quand il se prend en photo, se consacre passionnément au développement de l'image, exulte quand celle-ci prend finalement forme définitive et enfin savoure l'idée que des spectateurs contempleront ses photographies. Peut-être s'offusqueront-ils, peut-être adoreront-ils, qu'importe pourvu qu'il ne laisse pas indifférent. Si la photographie lui permet d'exaucer ses fantasmes les plus irréels, Pierre Molinier est également un personnage qui prend plaisir à nous provoquer, le sourire de trublion qu'il arbore sur la majorité des photographies est là pour le rappeler. Un goût pour la provocation qui trouve en partie origine dans un besoin d'attention très flagrant dans la riche correspondance reproduite en fin de volume. Les lettres déclenchent bien souvent un enthousiasme fou chez le photographe. A ceux qui lui adressent quelque louanges, Pierre Molinier leur renvoie nombre de cadeaux comme des toiles ou des photographies, une générosité qui explique d'ailleurs la difficulté actuelle pour recenser et rassembler sa production tant son oeuvre a été éparpillée au fil de ses envois de paquets postaux.


Toutefois, la provocation intrinsèque à son oeuvre ne saurait se réduire à ce seul aspect de sa personnalité, elle démontre aussi sa compréhension des fondements de la photographie. Pierre Molinier joue avec la naïveté des gens qui considèrent une photographie comme objective, son oeuvre est là pour nous avertir que l'image photographique est également une fiction dont rien ne nous assure finalement qu'elle soit une reproduction parfaite du réel. Sans doute ne l'est-elle jamais avec Pierre Molinier, qui trouve au contraire son intérêt dans la tromperie, sa photographie étant une image qui aime se parer de l'illusion pour manipuler le spectateur. Il y a bien sûr les photomontages fameux, mais aussi ses images plus anodines qui travestissent à leur façon la réalité, une image reproduite dans le livre est très éloquente à ce propos. Pierre Molinier, l'air sérieux, nous y présente sa poupée ( une figure récurrente dans ses photographies ) coquettement vêtue. Cette seule image met déjà à l'épreuve la perception du spectateur avec un leurre astucieux. Les jambes enveloppées de bas, ce sont celles du photographe tandis que la jambe habillée d'un pantalon et d'une chaussure masculine n'est autre qu'un manche à balais dissimulé.


En conclusion, une oeuvre très crue ( l'ouvrage comporte des images autrement plus explicites que celles de cet article ) mais ô combien fascinante et marquante pour nombre de photographes d'aujourd'hui. Celle-ci est rendue enfin accessible dans sa genèse même grâce à la passionnante introduction de Jean-Luc Mercié et aux nombreuses illustrations, notamment des tirages d'essai et des dessins préparatoires qui permettent de comprendre tout le cheminement de Pierre Molinier pour concevoir ses photographies et peintures.

Pierre Molinier
Présenté par Jean-Luc Mercié
Edité en 2010 aux Presses du réel
400 pages
819 illustrations
31cm x 24 cm
Français ( existe également en anglais )


vendredi 9 novembre 2012

Archeology of Elegance - 20 ans de photographie de mode




Jean-Baptiste Mondino
























Archeology of Elegance est un catalogue à propos des photographes de mode majeurs ayant officié entre 1980 et 2000. Le livre se divise en quatre chapitres, chacun précédé d'une intéressante introduction : Glamour, Punk/Rock, High-Tech/Futuriste, Art. Très agréable à parcourir grâce à la sélection des photographies qui mêle à la fois plaisir visuel et culture générale. En grief, on regrettera peut-être l'absence de photographies de l'un ou l'autre grand nom comme Helmut Newton ou Richard Avedon, vraisemblablement pour une question de droits d'auteur car ils sont évoqués dans les introductions. Excepté ce petit reproche, Archeology Of Elegance se révèle être une séduisante compilation des immanquables de la photographie de mode de ces dernières décennies.

Herb Ritts et Peter Lindbergh

Marcus Piggott & Mert Alas et Robert Mapplethorpe

David Sims et Pierre Winther

Terry Richardson et Jürgen Teller















Archeology Of Elegance / 1980 - 2000 / 20 ans de photographie de mode
Par Ulf Poschardt, Marion de Beaupré et Stéphane Baumet
Edité en 2002 chez Plume/Flammarion (initialement chez Schirmer / Mosel )
215 photographies
368 pages
31cmx26cm
Français ( également paru en allemand et en anglais ).

Guy Bourdin

samedi 27 octobre 2012

Rineke Dijkstra - Portraits ( Schirmer / Mosel )



La première fois qu'on observe un portrait de Rineke Dijkstra, on peut être frappé par l'apparente simplicité de la photographie et par le choix d'un sujet somme toute ordinaire, ce qui n'empêche nullement d'être envahi par une émotion certaine, comme si Rineke Dijkstra avait réussi en un instant à tisser un lien intime entre moi spectateur et la personne photographiée. Mais s'il est aisé d'exprimer l'émotion que nous procure sa photographie, de dire qu'il s'agit d'une photographie admirablement prise, l'oeuvre de Rineke Dijkstra révèle néanmoins toute sa complexité quand il s'agit de trouver les mots adéquats pour faire comprendre à son interlocuteur mais aussi à soi-même en quoi sa photographie nous a-t-elle touché. D'où vient la force dont sont pourvues les photographies de Rineke Dijkstra ? Des nombreux articles et expositions à propos de son oeuvre, il est un mot qui revient souvent pour caractériser ses portraits : l'authenticité.  

Malheureusement, insuffisamment compris et servi à toutes les sauces, le qualificatif d'authentique est de ces compliments qui ont perdu de leur saveur essentiel. Difficile donc de comprendre la spécificité des photographies de Rineke Dijkstra avec un mot à la définition si floue. De quoi parlons-nous quand nous mettons en avant l'authenticité d'un portrait ? Evoque-t-on l'adéquation formelle entre la personne et son image photographique ? Définition assez frustrante s'il en est puisque nous ne connaissons que rarement les personnes photographiées dans les livres et les galeries, et ne pouvons donc juger de cette supposée adéquation. Est-ce le mot pour qualifier cette volonté qui caractérise le travail de certains photographes qui, au travers de la photographie, prétendent nous faire découvrir le caractère intérieur d'un individu ? Si la photographie de Rineke Dijkstra nous touche intiment, ce n'est cependant pas l'impression qu'on retient de ses portraits. De ces derniers, nous  devinons un sentiment qui voudrait donner l'illusion de la confiance en soi mais qui ne parvient toutefois pas à cacher l'inquiétude palpable dont est saisi le sujet. Et surtout comme l'indique très justement Hripsimé Visser en introduction, nous éprouvons la sensation que ces photographies nous révèlent quelque chose d'essentiel de notre humanité.

Sur une plage d'Ukraine, 1993




Qu'ont ces photographies à nous révéler sur l'humanité ? Le comprendre nécessite sans doute de faire le point sur les diverses expériences photographiques qui jalonnent la carrière de Rineke Dijkstra. Celle-ci débute effectivement son parcours professionnel avec des hommes d'affaires, scientifiques et autres professions désirant se mettre en avant avec une photographie. Si cette commande pourrait apparaître anecdotique aux premiers abords, elle nous renseigne néanmoins que les premiers travaux de Rineke Dijkstra sont des oeuvres de commande marquées par une forte exigence de construction symbolique. En effet, quand un photographe est ainsi chargé par autrui d'immortaliser une personne, on ne lui demande pas seulement de prendre correctement des photographies, mais aussi de concevoir une image appelée à jouer une fonction sociale en respectant les codes symboliques d'un groupe ou d'une communauté. Elaborer une telle image ne requiert pas tant de faire connaître le sujet de l'image ( par exemple l'homme derrière le businessman ) que de construire une image flatteuse de celui-ci en y associant les divers stéréotypes qui sont propres à l'image de l'homme d'affaires.

On peut penser que les travaux ultérieurs de Rineke Dijkstra sont une réaction à cette première expérience, qui logiquement faisait obstruction à l'expression personnelle au profit de l'efficacité du stéréotype. La série des adolescents photographiés sur une plage, avec laquelle Rineke Dijkstra va connaître le début de sa notoriété, va en effet rompre avec les préceptes de cette photographie de portraits promotionnels. A l'exigence de construire l'image d'un sujet succède une photographie qui va désormais s'intéresser à un sujet qui construit par lui-même son image. Le choix de photographier des adolescents est significatif de cette intention. Etrange moment à la frontière de l'enfance et de l'adulte,  l'adolescence est ce passage de la vie où on découvre la possibilité de poser ses propres règles afin de forger sa future vie d'adulte et où la nécessité de devenir quelqu'un se fait le plus insistant.

Cette expérience de la maturation est sans doute ce qui a attiré Rineke Dijkstra vers les adolescents. En les invitant à poser devant sa chambre photographique, sans artifice ou accessoire flatteur, elle leur pose implicitement la question de l'image de soi qu'ils souhaitent transmettre aux autres. Ses photographies expriment ainsi d'une belle manière le désarroi que provoque cette question chez l'adolescent. Les gestes, l'attitude, la tentative d'occuper au mieux l'espace photographique accordé par la photographe révèlent l'inquiétude de l'adolescent face à la problématique de sa propre image qu'il doit apprendre à façonner. Si certains adolescents apparaissent assez sûrs d'eux-mêmes face à l'appareil, d'autres manifestent une certaine vulnérabilité, et si certains optent pour une pose assez naturelle, d'autres font le choix d'une gestuelle très artificielle. Autant d'indices visuels qui nous font comprendre que Rineke Dijkstra a mis le doigt sur une expérience sensible de la destinée humaine.

Matador, 1994

Cette étude photographique va profondément marquer le devenir de la photographie de Rineke Dijkstra. Tout en conservant sa préoccupation pour l'être humain en transformation, elle va élargir celle-ci à l'ensemble des épreuves qui transforment un individu. Si l'adolescence en est l'archétype, chacun est néanmoins confronté tout le long de la vie à de multiples expériences qui nous transforment profondément. Que ce soient dans les portraits de jeunes personnes avant et après le service militaire, de mères venant de mettre au monde leur enfant, la tentative de saisir l'authenticité d'une personne va de pair avec la mise en avant de sa vulnérabilité existentielle révélée par le passage d'une épreuve transformatrice. Les portraits des Matadors sont également exemplaires à cet égard : loin de renouer avec l'iconographie classique du Matador se confrontant au taureau dans un costume flamboyant, les Matadors de Rineke Dijkstra sont au contraire photographiés après l'épreuve du combat, le visage exténué tandis qu'on ne perçoit de leur costume qu'un tissu déchiré et taché de sang. Michel Leiris ne disait-il pas de la tauromachie qu'elle était la métaphore des tourments et des passions de l'âme ?

Ce qui fait l'authenticité de l'expérience humaine et la distingue dès lors nettement de l'automate ou d'un portrait stéréotypé, c'est qu'elle est sans cesse en devenir, ou en d'autres mots, dans une maturation qui l'appelle à se réinventer sans cesse. C'est en cela que nous sommes touchés par chaque portrait de Rineke Dijkstra, nous ne sommes ni conscrit, ni Matador ni même cet adolescent sur une plage, mais finalement nous nous reconnaissons dans l'inquiétude que soulève l'épreuve transformatrice. Toute la beauté de la photographie de Rineke Dijkstra est ainsi d'avoir su nous faire comprendre au travers d'une représentation fixe que notre humanité réside précisément dans le changement.

Evgenya avant son service militaire, 6 mars 2002

Evgenya pendant son service militaire, 9 décembre 2002

D'un point de vue formel, on ne peut que saluer l'excellence de Rineke Dijkstra dans sa maîtrise de l'appareil et de la lumière qui sied parfaitement à sa recherche esthétique et permet de faire des personnes et des visages qu'elle photographie de puissants vecteurs d'émotion pour celles et ceux qui les contemplent. Pour ne rien gâcher de ce plaisir, le livre est en lui-même d'une élégante sobriété dans sa présentation, superbement imprimé et accompagné de deux essais et d'une bibliographie fort instructifs. Assurément un petit bijou de la photographie contemporaine.

Portraits - Rineke Dijkstra
Schirmer / Mosel
2004
64 photographies
33,5cm x 26cm
160 pages
English / Deutsch

Berlin, 2000

mercredi 3 octobre 2012

Histoire d'O illustrée - Doris Kloster ( La Musardine )





Intermède licencieux avec l'adaptation photographique de Doris Kloster de ce classique de l'érotisme. Pompeux mais jamais vulgaire, Histoire d'O illustrée est avant tout un recueil des nombreux fantasmes et clichés visuels propres à l'univers érotico-bourgeois du livre originel : les grandes demeures aux chambres cosy, les lourds velours rouges passés depuis toujours ( une jolie assonance empruntée à Alain Robbe-Grillet ),  les spiritueux raffinés posés sur du mobilier de goût et bien sûr les chaudes lumières qui donnent aux chairs et aux objets une teinte empreinte de concupiscence, presque paradoxalement pour un tel récit, de douceur. Scrupuleusement fidèle au récit littéraire, Histoire d'O illustrée est un livre qui, s'il ne révolutionne ni le genre ni le mythe érotique dont il traite, se laisse néanmoins parcourir avec plaisir.




Histoire d'O illustrée
Par Doris Kloster ( avec des extraits du roman original de Pauline Réage )
La Musardine
29cmx28cm
+- 60 photographies
120 pages
Français ( existe également en version anglaise ). 

vendredi 14 septembre 2012

Araki ( Stern Fotografie Portfolio 56 )



On retrouve dans ce livre les qualités habituelles de la série des Stern Portfolio, c'est-à-dire de belles reproductions présentées dans un volume grand format. L'ouvrage s'attarde essentiellement sur ses photographies de femmes, attachées ou non, et de fleurs tandis que l'introduction fournit quelques repères biographiques et commente l'Arakimania que suscite l'exposition de ses photos et les réactions très contrastées des spectateurs, aux opinions enthousiastes se mêlent tantôt une opposition critique mais aussi des réprobations parfois virulentes ( on se souviendra notamment du jet d'un cocktail Molotov sur une affiche du Musée de la photographie de Charleroi qui présentait l'un des célèbres nus d'Araki ). Si le livre pêche par un léger manque de cohérence thématique dans la présentation des photographies qui pourrait dès lors déconcerter le néophyte peu au fait de la profusion d'images et de thèmes qui caractérise la pratique de la photographie d'Araki ( le journal intime et l'importance de la temporalité dans son oeuvre notamment par la présence de dates sur certains clichés, son côté Toulouse-Lautrec par sa fréquentation et ses représentations des milieux licencieux de Tokyo, l'amour et la mort de sa femme... ), ce portfolio garde néanmoins un certain intérêt par la qualité des reproductions. On y trouvera notamment quelques-uns de la série des Kinbaku Raisan réalisée en 2008. Elle consiste en des photographies en noir et blanc de femmes ligotées, sur lesquelles Araki rajoute dans un second temps de vifs coups de brosse de peinture, symbole de l'envie du photographe de se réinvestir dans ses clichés et d'y marquer la puissance du désir. La manière est d'autant plus intéressante qu'en japonais le désir comme la couleur se vivent dans un même son : Iro.  Enfin, pour clore cet article, voici un extrait d'une discussion entre Jérôme Sans et Araki à propos de ses fascinantes photographies peintes.
Jérôme Sans : Vous peignez quelquefois les photos noir et blanc de couleurs, qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
Nobuyoshi Araki : Les photographies en noir et blanc représentent la mort. Prendre une photo revient à tuer son sujet. [...] Les photos noir et blanc représentant la mort, je souhaite les ressusciter. Je veux leur ajouter des sentiments érotiques, des passions ou la chaleur d'un corps. Cela me donne aussi envie de les peindre inconsciemment. Je ne souhaite pas pour autant transformer ces photos noir et blanc en peinture. Je voudrais simplement qu'elles se rapprochent le plus possible des photographies idéales que j'ai dans ma tête. Je ne prétends pas faire de la peinture avec des bases photographiques. Mais en les peignant en couleur, croire en ces photos et les révéler une nouvelle fois. 
( Araki, Taschen 25, 2007, p.16 )


Araki
Stern Fotografie Portfolio 56
96 pages
48 photographies
36cmx28cm
English/Deutsch

dimanche 15 juillet 2012

Araki enfin - L'homme qui ne vécut que pour aimer ( Gallimard )



C'est en 2008 que paraissait aux éditions Gallimard ce livre de Philippe Forest consacré à Nobuyoshi Araki, donnant ainsi enfin au lecteur francophone le premier véritable essai concernant ce photographe contemporain majeur. Philippe Forest est également l'auteur de plusieurs ouvrages à propos de la littérature japonaise et de romans dont l'Enfant éternel qui reçut le prix Femina du premier roman en 1997. La précision est importante car une lecture croisée du romancier et du photographe révèle des thèmes communs. Ils voient en effet leur vie marquée par la mort, Nobuyoshi Araki perdit son épouse jeune et Philippe Forest sa fille encore enfant, aussi faut-il comprendre cet essai non seulement comme une réflexion sur  la photographie d'Araki, mais également comme la rencontre entre deux hommes qui se reconnaissent. 


Accompagné d'une sélection de 31 photographies dont il faut souligner qu'elles expriment au mieux les diverses thématiques explorées par l'artiste, le texte d'Araki enfin se distingue par son élégance et son intelligence et adopte une narration volontairement éclatée en de courts paragraphes, ceci afin de témoigner au mieux de la richesse interprétative de l'oeuvre d'Araki, ou plus simplement de la vie d'Araki car c'est celle-ci qu'il aura photographiée sans répit. Connaissant à la fois une passion amoureuse et un désir enivré pour Yoko, son épouse, mais aussi le décès précoce de cette dernière, Araki éprouve l'expérience de l'inconstance de la vie dans ses deux facettes les plus fortes, il la condensera dans une formule célèbre : la photographie, c'est l'amour et la mort. La photographie d'Araki, comme l'indique bien sa maxime, aura su aussi bien exprimer la puissance du désir au travers de ses photographies sentimentales et celles immortalisant des femmes suspendues dans les airs, donnant l'impression de flotter, que le désespoir d'un homme face au deuil, impuissant et voué à contempler d'un air plaintif le ciel. 
" Ma femme venait de mourir, et tout ce que je pouvais faire c'était photographier le ciel. Alentour, tout était si transparent qu'il me semblait que le monde réfléchissait mes propres sentiments et les exposait à cette lumière qui pénétrait tout."  Araki enfin, p. 102.




Hommage à un artiste au parcours fascinant, Araki enfin est de ces livres intelligents qui réaffirment que l'intérêt de l'image ne réside pas seulement dans la quête de son sens originel, mais aussi dans sa capacité à être une invention continuelle de sens. Qu'importe qu'une femme attachée par Araki soit le résultat des fantasmes d'un homme, une allusion au monde flottant de l'Ukiyo ou la métaphore désirante des mobiles suspendus de Calder comme le remarque avec malice Philippe Forest, cette femme est tout cela à la fois et c'est en cela que tient la beauté et la force de la photographie de Nobuyoshi Araki. 

Araki enfin - l'homme qui ne vécut que pour aimer
Philippe Forest
Gallimard 2008
31 photographies
160 pages
22cm x 16 cm

lundi 9 juillet 2012

Photographes A-Z ( Taschen )


J'ai toujours été fasciné par l'aisance de la photographie à pouvoir s'exprimer pleinement qu'importe le support sur lequel elle est reproduite : que ce soit au travers de l'impression signée et numérotée par le photographe à la simple revue de magazine et aujourd'hui sur Internet, elle s'expose et s'épanouit sans jamais perdre de sa force. C'est là sans doute l'une des raisons qui expliquent le succès de la photographie à notre époque, celle-ci en effet aura toujours eu à coeur d'exploiter sans cesse de nouveaux moyens de communication pour toucher un public toujours plus large.

S'il existe dans les rayons des librairies de nombreux livres à propos des photographes majeurs accompagnés de quelques clichés qui ont contribué à forger leur renommée, Photographes A-Z prend le paris de rendre hommage à ces photographes célèbres mais aussi au support matériel qui leur a permis de se faire connaître auprès du grand public, c'est-à-dire bien souvent le livre, une démarche qui n'est pas sans rappeler les livres the book of 101 books ou ceux de Parr et Badger à propos de l'histoire du livre de photographie. Chaque photographe est ainsi présenté au travers de quelques extraits photographiés d'une monographie. Ce qui est fascinant dans ce choix éditorial, c'est que cette originalité dans la présentation ne se limite pas à être justement un simple artifice de présentation. Si le sujet explicite comme l'indique le titre sont les photographes, il se dessine également en filigrane une histoire du livre de photographie, et c'est un réel plaisir de redécouvrir l'histoire de la photographie sous ce nouvel angle. Hans-Michael Koetzle parvient même à nous faire sentir les préoccupations esthétiques d'un photographe par la façon dont lui et son éditeur auront conçu son livre : si certains photographes apprécient une présentation classique avec l'intitulé de l'image sur la page de gauche et l'image sur la page de droite, d'autres tel William Klein préfèrent que leurs photographies soient exposées en pleine page afin de capturer au mieux le spectateur dans la mise en scène qu'ils ont élaborée, tout comme Hans-Michael Koetzle choisit judicieusement de présenter Guy Bourdin au travers de ses publications dans le magazine Vogue, un choix très révélateur des aspirations de Bourdin. 





Photographes A-Z saura ainsi aussi bien combler l'amateur de beaux livres, le livre présentant en effet nombre d'ouvrages aujourd'hui difficilement trouvables et et dont il est peu probable qu'ils soient réédités un jour, que le profane souhaitant posséder un livre dans lequel il pourra fureter à loisir et redécouvrir d'une manière inédite l'histoire de la photographie, le livre est d'autant plus adapté à cette exigence qu'il couvre un large éventail de thèmes, que ce soit la photographie d'architecture ou la photographie de mode. 

vendredi 11 mai 2012

Sex and landscapes - Helmut Newton ( Taschen )



Que la femme fut la pièce centrale de l'art d'Helmut Newton est une évidence communément admise. Toutefois, cette prédilection pour le portrait ne doit pas occulter le fait que le lieu fit également l'objet de ses attentions les plus soignées. On le sait, malgré la superbe série des Big Nudes, Newton appréciait peu la photographie en studio, aussi disait-il que son "imagination avait besoin de la réalité extérieure". Helmut Newton comprit vite que cette réalité extérieure, par les stéréotypes qu'elle charriait, permettait d'accentuer la dramaturgie et l'intensité de la mise en scène, d'où par exemple cette prédilection constante dans son oeuvre pour les suites d'hôtel luxueuses, symbole à la fois de la bourgeoisie et d'un indéniable érotisme, thèmes les plus récurrents de l'univers de Newton. D'autre part, le lieu était également soigneusement choisi pour sa lumière ambiante. Pour Helmut Newton, maîtriser la lumière n'impliquait pas de recourir à divers spots afin d'obtenir l'effet souhaité, mais simplement de choisir le lieu idéal où la lumière ambiante dessinait les formes ombragées adéquates. Malgré son désintérêt pour les sources d'éclairage de studio, sa gestion de la lumière n'en demeurait pas moins parfaite, et nul doute que la force d'Helmut Newton était d'être parvenu à une subtile combinaison érotique entre la femme, le lieu et son ambiance lumineuse.



Sex and Landscapes, en compilant et en confrontant les portraits érotiques d'Helmut Newton avec ses photographies de paysage, invite à s'interroger sur l'importance visuelle du décor, chaque ville, chaque chambre d'hôtel recélant une lumière particulière dont Newton aura su capturer l'intensité pour sublimer le modèle photographié. Le sexe et le paysage, loin d'apparaître comme des thèmes sans grand rapport, se répondent et se filent comme des métaphores de l'autre et offrent ainsi de nouvelles façons de regarder les photographies d'Helmut Newton : est-ce la femme qui érotise le lieu, ou le lieu qui érotise la femme ? Comme l'indique Philippe Garner dans l'introduction du livre, Sex and Landscapes est aussi une évocation de l'homme que fut Helmut Newton. En nous rapportant des photographies de Monte-Carlo, de Californie ou de Munich, celui-ci nous rappelle qu'Helmut Newton fut un personnage cosmopolite. Que la première photographie du livre soit celle d'un avion s'apprêtant à décoller est à n'en pas douter un clin d'oeil plus qu'évident au nomadisme d'Helmut Newton.

Sex and Landscapes
Helmut Newton
Publié chez Taschen
33cmx25cm
79 photographies
112 pages
Français - English - Deutsch