samedi 27 octobre 2012

Rineke Dijkstra - Portraits ( Schirmer / Mosel )



La première fois qu'on observe un portrait de Rineke Dijkstra, on peut être frappé par l'apparente simplicité de la photographie et par le choix d'un sujet somme toute ordinaire, ce qui n'empêche nullement d'être envahi par une émotion certaine, comme si Rineke Dijkstra avait réussi en un instant à tisser un lien intime entre moi spectateur et la personne photographiée. Mais s'il est aisé d'exprimer l'émotion que nous procure sa photographie, de dire qu'il s'agit d'une photographie admirablement prise, l'oeuvre de Rineke Dijkstra révèle néanmoins toute sa complexité quand il s'agit de trouver les mots adéquats pour faire comprendre à son interlocuteur mais aussi à soi-même en quoi sa photographie nous a-t-elle touché. D'où vient la force dont sont pourvues les photographies de Rineke Dijkstra ? Des nombreux articles et expositions à propos de son oeuvre, il est un mot qui revient souvent pour caractériser ses portraits : l'authenticité.  

Malheureusement, insuffisamment compris et servi à toutes les sauces, le qualificatif d'authentique est de ces compliments qui ont perdu de leur saveur essentiel. Difficile donc de comprendre la spécificité des photographies de Rineke Dijkstra avec un mot à la définition si floue. De quoi parlons-nous quand nous mettons en avant l'authenticité d'un portrait ? Evoque-t-on l'adéquation formelle entre la personne et son image photographique ? Définition assez frustrante s'il en est puisque nous ne connaissons que rarement les personnes photographiées dans les livres et les galeries, et ne pouvons donc juger de cette supposée adéquation. Est-ce le mot pour qualifier cette volonté qui caractérise le travail de certains photographes qui, au travers de la photographie, prétendent nous faire découvrir le caractère intérieur d'un individu ? Si la photographie de Rineke Dijkstra nous touche intiment, ce n'est cependant pas l'impression qu'on retient de ses portraits. De ces derniers, nous  devinons un sentiment qui voudrait donner l'illusion de la confiance en soi mais qui ne parvient toutefois pas à cacher l'inquiétude palpable dont est saisi le sujet. Et surtout comme l'indique très justement Hripsimé Visser en introduction, nous éprouvons la sensation que ces photographies nous révèlent quelque chose d'essentiel de notre humanité.

Sur une plage d'Ukraine, 1993




Qu'ont ces photographies à nous révéler sur l'humanité ? Le comprendre nécessite sans doute de faire le point sur les diverses expériences photographiques qui jalonnent la carrière de Rineke Dijkstra. Celle-ci débute effectivement son parcours professionnel avec des hommes d'affaires, scientifiques et autres professions désirant se mettre en avant avec une photographie. Si cette commande pourrait apparaître anecdotique aux premiers abords, elle nous renseigne néanmoins que les premiers travaux de Rineke Dijkstra sont des oeuvres de commande marquées par une forte exigence de construction symbolique. En effet, quand un photographe est ainsi chargé par autrui d'immortaliser une personne, on ne lui demande pas seulement de prendre correctement des photographies, mais aussi de concevoir une image appelée à jouer une fonction sociale en respectant les codes symboliques d'un groupe ou d'une communauté. Elaborer une telle image ne requiert pas tant de faire connaître le sujet de l'image ( par exemple l'homme derrière le businessman ) que de construire une image flatteuse de celui-ci en y associant les divers stéréotypes qui sont propres à l'image de l'homme d'affaires.

On peut penser que les travaux ultérieurs de Rineke Dijkstra sont une réaction à cette première expérience, qui logiquement faisait obstruction à l'expression personnelle au profit de l'efficacité du stéréotype. La série des adolescents photographiés sur une plage, avec laquelle Rineke Dijkstra va connaître le début de sa notoriété, va en effet rompre avec les préceptes de cette photographie de portraits promotionnels. A l'exigence de construire l'image d'un sujet succède une photographie qui va désormais s'intéresser à un sujet qui construit par lui-même son image. Le choix de photographier des adolescents est significatif de cette intention. Etrange moment à la frontière de l'enfance et de l'adulte,  l'adolescence est ce passage de la vie où on découvre la possibilité de poser ses propres règles afin de forger sa future vie d'adulte et où la nécessité de devenir quelqu'un se fait le plus insistant.

Cette expérience de la maturation est sans doute ce qui a attiré Rineke Dijkstra vers les adolescents. En les invitant à poser devant sa chambre photographique, sans artifice ou accessoire flatteur, elle leur pose implicitement la question de l'image de soi qu'ils souhaitent transmettre aux autres. Ses photographies expriment ainsi d'une belle manière le désarroi que provoque cette question chez l'adolescent. Les gestes, l'attitude, la tentative d'occuper au mieux l'espace photographique accordé par la photographe révèlent l'inquiétude de l'adolescent face à la problématique de sa propre image qu'il doit apprendre à façonner. Si certains adolescents apparaissent assez sûrs d'eux-mêmes face à l'appareil, d'autres manifestent une certaine vulnérabilité, et si certains optent pour une pose assez naturelle, d'autres font le choix d'une gestuelle très artificielle. Autant d'indices visuels qui nous font comprendre que Rineke Dijkstra a mis le doigt sur une expérience sensible de la destinée humaine.

Matador, 1994

Cette étude photographique va profondément marquer le devenir de la photographie de Rineke Dijkstra. Tout en conservant sa préoccupation pour l'être humain en transformation, elle va élargir celle-ci à l'ensemble des épreuves qui transforment un individu. Si l'adolescence en est l'archétype, chacun est néanmoins confronté tout le long de la vie à de multiples expériences qui nous transforment profondément. Que ce soient dans les portraits de jeunes personnes avant et après le service militaire, de mères venant de mettre au monde leur enfant, la tentative de saisir l'authenticité d'une personne va de pair avec la mise en avant de sa vulnérabilité existentielle révélée par le passage d'une épreuve transformatrice. Les portraits des Matadors sont également exemplaires à cet égard : loin de renouer avec l'iconographie classique du Matador se confrontant au taureau dans un costume flamboyant, les Matadors de Rineke Dijkstra sont au contraire photographiés après l'épreuve du combat, le visage exténué tandis qu'on ne perçoit de leur costume qu'un tissu déchiré et taché de sang. Michel Leiris ne disait-il pas de la tauromachie qu'elle était la métaphore des tourments et des passions de l'âme ?

Ce qui fait l'authenticité de l'expérience humaine et la distingue dès lors nettement de l'automate ou d'un portrait stéréotypé, c'est qu'elle est sans cesse en devenir, ou en d'autres mots, dans une maturation qui l'appelle à se réinventer sans cesse. C'est en cela que nous sommes touchés par chaque portrait de Rineke Dijkstra, nous ne sommes ni conscrit, ni Matador ni même cet adolescent sur une plage, mais finalement nous nous reconnaissons dans l'inquiétude que soulève l'épreuve transformatrice. Toute la beauté de la photographie de Rineke Dijkstra est ainsi d'avoir su nous faire comprendre au travers d'une représentation fixe que notre humanité réside précisément dans le changement.

Evgenya avant son service militaire, 6 mars 2002

Evgenya pendant son service militaire, 9 décembre 2002

D'un point de vue formel, on ne peut que saluer l'excellence de Rineke Dijkstra dans sa maîtrise de l'appareil et de la lumière qui sied parfaitement à sa recherche esthétique et permet de faire des personnes et des visages qu'elle photographie de puissants vecteurs d'émotion pour celles et ceux qui les contemplent. Pour ne rien gâcher de ce plaisir, le livre est en lui-même d'une élégante sobriété dans sa présentation, superbement imprimé et accompagné de deux essais et d'une bibliographie fort instructifs. Assurément un petit bijou de la photographie contemporaine.

Portraits - Rineke Dijkstra
Schirmer / Mosel
2004
64 photographies
33,5cm x 26cm
160 pages
English / Deutsch

Berlin, 2000

mercredi 3 octobre 2012

Histoire d'O illustrée - Doris Kloster ( La Musardine )





Intermède licencieux avec l'adaptation photographique de Doris Kloster de ce classique de l'érotisme. Pompeux mais jamais vulgaire, Histoire d'O illustrée est avant tout un recueil des nombreux fantasmes et clichés visuels propres à l'univers érotico-bourgeois du livre originel : les grandes demeures aux chambres cosy, les lourds velours rouges passés depuis toujours ( une jolie assonance empruntée à Alain Robbe-Grillet ),  les spiritueux raffinés posés sur du mobilier de goût et bien sûr les chaudes lumières qui donnent aux chairs et aux objets une teinte empreinte de concupiscence, presque paradoxalement pour un tel récit, de douceur. Scrupuleusement fidèle au récit littéraire, Histoire d'O illustrée est un livre qui, s'il ne révolutionne ni le genre ni le mythe érotique dont il traite, se laisse néanmoins parcourir avec plaisir.




Histoire d'O illustrée
Par Doris Kloster ( avec des extraits du roman original de Pauline Réage )
La Musardine
29cmx28cm
+- 60 photographies
120 pages
Français ( existe également en version anglaise ).