C'est en 2008 que paraissait aux éditions Gallimard ce livre de Philippe Forest consacré à Nobuyoshi Araki, donnant ainsi enfin au lecteur francophone le premier véritable essai concernant ce photographe contemporain majeur. Philippe Forest est également l'auteur de plusieurs ouvrages à propos de la littérature japonaise et de romans dont l'Enfant éternel qui reçut le prix Femina du premier roman en 1997. La précision est importante car une lecture croisée du romancier et du photographe révèle des thèmes communs. Ils voient en effet leur vie marquée par la mort, Nobuyoshi Araki perdit son épouse jeune et Philippe Forest sa fille encore enfant, aussi faut-il comprendre cet essai non seulement comme une réflexion sur la photographie d'Araki, mais également comme la rencontre entre deux hommes qui se reconnaissent.
Accompagné d'une sélection de 31 photographies dont il faut souligner qu'elles expriment au mieux les diverses thématiques explorées par l'artiste, le texte d'Araki enfin se distingue par son élégance et son intelligence et adopte une narration volontairement éclatée en de courts paragraphes, ceci afin de témoigner au mieux de la richesse interprétative de l'oeuvre d'Araki, ou plus simplement de la vie d'Araki car c'est celle-ci qu'il aura photographiée sans répit. Connaissant à la fois une passion amoureuse et un désir enivré pour Yoko, son épouse, mais aussi le décès précoce de cette dernière, Araki éprouve l'expérience de l'inconstance de la vie dans ses deux facettes les plus fortes, il la condensera dans une formule célèbre : la photographie, c'est l'amour et la mort. La photographie d'Araki, comme l'indique bien sa maxime, aura su aussi bien exprimer la puissance du désir au travers de ses photographies sentimentales et celles immortalisant des femmes suspendues dans les airs, donnant l'impression de flotter, que le désespoir d'un homme face au deuil, impuissant et voué à contempler d'un air plaintif le ciel.
" Ma femme venait de mourir, et tout ce que je pouvais faire c'était photographier le ciel. Alentour, tout était si transparent qu'il me semblait que le monde réfléchissait mes propres sentiments et les exposait à cette lumière qui pénétrait tout." Araki enfin, p. 102.
Hommage à un artiste au parcours fascinant, Araki enfin est de ces livres intelligents qui réaffirment que l'intérêt de l'image ne réside pas seulement dans la quête de son sens originel, mais aussi dans sa capacité à être une invention continuelle de sens. Qu'importe qu'une femme attachée par Araki soit le résultat des fantasmes d'un homme, une allusion au monde flottant de l'Ukiyo ou la métaphore désirante des mobiles suspendus de Calder comme le remarque avec malice Philippe Forest, cette femme est tout cela à la fois et c'est en cela que tient la beauté et la force de la photographie de Nobuyoshi Araki.
Araki enfin - l'homme qui ne vécut que pour aimer
Philippe Forest
Gallimard 2008
31 photographies
160 pages
22cm x 16 cm